Extrait d'avis au ministre

Abstral

Dénomination commune / Sujet : Fentanyl
Nom du fabricant : Paladin
Forme : Comprimé sublingual
Teneur : 100 mcg, 200 mcg, 300 mcg, 400 mcg, 600 mcg et 800 mcg

Indication : Traitement de la douleur

Recommandation de l'INESSS
Avis de refus – Valeur thérapeutique

Décision du Ministre
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Evaluation publiée le 01 février 2012

Description du médicament
AbstralMC est un comprimé sublingual à dissolution rapide contenant du fentanyl, un agoniste des récepteurs u-opioïdes. Il s’agit de la première formulation de fentanyl conçue pour une libération du principe actif par voie buccale transmuqueuse offerte au Canada. Elle est indiquée « pour la prise en charge des accès douloureux transitoires (percées de douleur) chez les patients cancéreux, de 18 ans et plus, qui reçoivent déjà un traitement continu par des opioïdes contre la douleur cancéreuse sous-jacente persistante, et qui tolèrent bien ce traitement ». Les opioïdes utilisés par voie orale aux mêmes fins et inscrits sur les listes de médicaments sont les formulations à libération immédiate d’hydromorphone, de morphine et d’oxycodone. Il s’agit de la première évaluation d’AbstralMC par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). 

Valeur thérapeutique
Parmi les publications analysées, les études de Rauck (2009) et de Nalamachu (2011) ont été retenues pour l’appréciation de la valeur thérapeutique de cette nouvelle formulation de fentanyl. 

L’étude de Rauck vise à évaluer l’efficacité et l’innocuité d’AbstralMC pour le soulagement des accès douloureux transitoires associés au cancer chez 131 patients tolérant les opioïdes. Au moment de la sélection des sujets, ceux-ci recevaient un traitement continu à dose stable équivalant à 60 mg à 1 000 mg de morphine par jour par voie orale ou une administration transdermique de fentanyl équivalant à 50 mcg à 300 mcg par heure. 

Cet essai multicentrique s’est déroulé en plusieurs étapes. La première consistait en une phase de titrage d’une durée maximale de deux semaines pour déterminer la dose qui soulage tous les accès douloureux pendant deux jours consécutifs. La deuxième partie se déroulait à double insu pendant un maximum de 2 semaines, soit jusqu’à ce que 10 accès douloureux, survenant à au moins 2 heures d’intervalle, soient traités avec la dose prédéterminée d’AbstralMC ou avec un placebo. La répartition aléatoire tient compte du fait que deux doses de placebo ne peuvent se succéder. La troisième étape consistait au suivi en phase ouverte jusqu’à 12 mois des sujets qui ont complété la phase à double insu et qui continuent la prise d’AbstralMC à une dose stable. Il est à noter qu’une thérapie de secours était permise, notamment durant la phase à double insu, si un épisode d’accès douloureux survenait moins de deux heures après le précédent. Les résultats concernant l’efficacité ont été obtenus durant la phase à double insu et les principaux, au moment de l’analyse intérimaire, sont les suivants :

  • le soulagement de la douleur, déterminé par la somme des différences d’intensité de la douleur par rapport à la valeur de base sur une période de 30 minutes après le traitement des accès douloureux, était supérieur avec AbstralMC : 49,4 contre 35,3 pour le placebo au moment de l’analyse intérimaire (p = 0,0004). L’intensité de la douleur était mesurée sur une échelle de 0 à 10, 10 étant la pire des douleurs;
  • le soulagement de la douleur avec AbstralMC était statistiquement supérieur à celui avec le placebo à partir de la 10e minute après l’administration de la dose, et ce, jusqu’à la fin de la période d’observation, soit durant les 60 minutes qui ont suivi la prise du médicament;
  • l’usage d’une thérapie de secours a été moins fréquent après les accès douloureux traités avec AbstralMC : 11 % contre 27 % pour ceux traités avec le placebo;
  • la dose moyenne d’AbstralMC administrée durant la phase ouverte de l’étude a été de 551 mcg par accès douloureux, pour un nombre moyen de 2,9 doses par jour.

L’analyse de cette étude révèle certaines faiblesses, en l’occurrence :

  • la population à l’étude n’est pas suffisamment bien définie. D’une part, les types de cancers et de douleurs ne sont pas répertoriés. D’autre part, la nature et la dose des opiacés auxquels les participants étaient tolérants avant l’étude ne sont pas précisées;
  • la nature de la thérapie de secours n’est pas spécifiée. Par conséquent, sa durée d’action n’est pas connue. Son effet analgésique peut donc potentiellement s’ajouter à celui d’AbstralMC administré lors du prochain accès douloureux, qui peut survenir aussi rapidement que deux heures après le précédent;
  • la monographie d’AbstralMC révèle que le temps médian pour atteindre la concentration maximale sérique (Tmax) varie de 30 à 60 minutes et que la demi-vie varie de 5 heures à 13,5 heures, selon la dose. Il y a donc possibilité de chevauchement de l’effet analgésique de deux prises consécutives du médicament; 
  • il n’y a aucune évaluation de l’effet du traitement sur la qualité de vie des sujets, paramètre d’efficacité important pour les études concernant le soulagement de la douleur;
  • la détermination de la dose efficace d’AbstralMC se fait par titrage sur une période pouvant aller jusqu’à deux semaines, sans égard à la dose de l’opiacé utilisé sur une base chronique. Cette stratégie retarde indûment le soulagement de la douleur. Elle diffère de ce qui se fait actuellement en clinique pour déterminer la dose d’une thérapie de secours. De fait, il est de mise de donner de 10 % à 15 % de la dose journalière du médicament utilisé en continu. En conséquence, la validité externe de cette étude se trouve diminuée.

Bien que l’on puisse s’attendre à ce que le fentanyl soulage la douleur, l’étude de Rauck ne réussit pas à démontrer l’ampleur de son efficacité lorsqu’il est administré sous la forme d’un comprimé sublingual. De fait, l’effet analgésique additif possible de la thérapie de secours et d’AbstralMC sur la dose qui suit peut influencer la mesure de l’intensité de la douleur.

Par ailleurs, seulement 57 % des personnes éligibles (78/136) ont complété la phase de titrage et 66 d’entre elles ont participé à la phase d’évaluation de l’efficacité. Elles peuvent donc être considérées comme répondant au traitement. De plus, l’analyse intérimaire des résultats en intention de traiter porte seulement sur 61 patients. La population étant circonscrite de cette façon, un biais de sélection en faveur d’AbstralMC est à suspecter. Enfin, la dose moyenne d’AbstralMC pour soulager un accès douloureux (551 mcg) semble élevée. Mis en relation avec les résultats de l’étude de Lennernäs (2010), qui compare l’efficacité de plusieurs doses d’AbstralMC, cela laisse planer un doute sur l’efficacité des faibles doses. Au surplus, l’étude ne mentionne pas à quelle proportion de la dose quotidienne des opiacés administrés sur une base régulière correspond la dose d’AbstralMC prescrite comme thérapie de secours. Toutes ces considérations rendent difficile l’appréciation de son efficacité.

En ce qui concerne l’innocuité d’AbstralMC, environ 73 % des patients ont éprouvé au moins un effet indésirable. Dans 25 % des cas, l’intensité de l’effet éprouvé était élevée. Ces constats soulèvent des interrogations sur la tolérance à ce produit chez des patients qui toléraient les opioïdes au moment de commencer l’étude. Les effets indésirables les plus fréquemment rapportés sont les nausées, les vomissements et la somnolence, soit ceux généralement observés avec cette catégorie d’analgésiques. 

L’étude ouverte et non comparative de Nalamachu vise à évaluer l’efficacité et l’innocuité à long terme d’AbstralMC pour soulager les accès douloureux chez 139 personnes. Les critères d’inclusion sont semblables à ceux de l’étude de Rauck. L’essai de Nalamachu comporte une phase de titrage de 2 semaines suivie d’une phase de maintien d’une durée maximale de 12 mois. L’analyse des résultats s’est effectuée en comparant les données recueillies à la visite 7 (après six mois de traitement) et à la visite finale à celles recueillies au départ. Les paramètres d’évaluation consistent en l’évaluation globale de la satisfaction du patient à l’égard du médicament, en l’évaluation de la qualité de vie à partir des questionnaires BPI (Brief Pain Inventory) et DAPOS (Depression, Anxiety and Positive Outlook Scale). Bien que certains résultats soient en faveur d’AbstralMC, ils doivent être analysés avec circonspection en raison, entre autres, de la nature du devis, de l’absence d’une méthode d’analyse statistique planifiée et de certaines faiblesses méthodologiques. En résumé, le niveau de preuve de cet essai est insuffisant pour bien documenter les bienfaits d’AbstralMC notamment sur la qualité de vie.

Enfin, l’INESSS déplore l’absence d’une étude réalisée avec un comparateur actif prescrit usuellement comme thérapie de secours. Un tel essai aurait permis de mieux documenter la différence entre les opioïdes à courte action par voie orale et AbstralMC, notamment au regard de l’ampleur de l’effet et de la rapidité d’action. L’étude de Rauck rapporte un début d’action dix minutes après son administration. Dans le but de démontrer un avantage par rapport aux opioïdes par voie orale, le fabricant a comparé de façon indirecte le début d’action d’AbstralMC à celui de la morphine à courte action avec les données provenant des études de Freye (2007) et de Zeppetella (2008), qui rapportent respectivement 27 minutes et 38 minutes, en moyenne. L’INESSS ne peut retenir cette comparaison, entre autres parce qu’il est impossible de déterminer si les caractéristiques des populations sont semblables relativement aux types de cancers et à l’origine des douleurs.

À la lumière de la documentation examinée, l’INESSS n’est pas en mesure d’apprécier avec justesse l’ampleur de l’efficacité du fentanyl sous forme de comprimé sublingual, ni son effet sur la qualité de vie des personnes cancéreuses qui l’utilisent pour soulager les accès douloureux, tout en étant sous traitement continu avec un opiacé. En conséquence, il ne peut reconnaître la valeur thérapeutique de cette nouvelle formulation de fentanyl.

Recommandation
L’INESSS recommande de ne pas inscrire AbstralMC sur les listes de médicaments, car il ne satisfait pas au critère de la valeur thérapeutique.

Principales références utilisées
Freye E, Victor JV, Braun D. Effervescent morphine results in faster relief of breakthrough pain in patients compared to immediate release morphine sulfate tablet. J Pain Practice 2007;7:324-31.
Lennernäs B, Frank-Lissbrant I, Lennernäs H, et coll. Sublingual administration of fentanyl to cancer patients is an effective treatment for breakthrough pain: results from a randomized phase II study. Palliat Med 2010;24(3):286-93.
Nalamachu S, Hassman D, Wallace MS, et coll. Long-term effectiveness and tolerability of sublingual fentanyl orally disintegrating tablet for the treatment of breakthrough cancer pain. Curr Med Res Opin. 2011;27(3):519-30.
Rauck RL, Tark M, Reyes E, et coll. Efficacy and long-term tolerability of sublingual fentanyl orally disintegrating tablet in the treatment of breakthrough cancer pain. Curr Med Res Opin 2009;25(12):2877-85.
Zeppetella G. Opioids for cancer breakthrough pain: a pilot study reporting patient assessment of time to meaningful pain relief. J Pain Sympt Manage 2008;35:563-7.

Note : D’autres références, publiées ou non publiées, ont été consultées.

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